NOEL
- J’en ai connu, des drailles et des montagnes, mais une comme celle-là, Jean-Baptiste, y en a qu’une. Alors, il faut bien se la garder.
« Elle est tellement belle. Regarde-la. Quand le soleil se lève, comme tout à l’heure, on dirait que ses crêtes fleurissent. Et quand il se couche, et que ses ravines se peuplent d’ombres, elle a pas sa jumelle sur toute la terre.
« Une montagne pareille, mon petit, c’est du boire et du manger pour toute une vie. »
Ainsi parlait Noël, le pâtre des Baux, tandis qu’à quelques kilomètres de là, en plein milieu du cimetière municipal, se déroulait la terrible scène de ménage que l’on sait.
Mais alors qu’Aristide et Félix s’affrontaient à grand fracas d’injures, alors même que Fernand, l’imprudent, s’aventurait parmi les tombes, un vent d’inquiétude parvint aux oreilles du berger. Agité, frissonnant, il lui murmurait ses angoisses de vent à peine sorti de la montagne. Quelques instants auparavant, rugissait-il, il se frottait vigoureusement à ses flancs et tourbillonnait comme un fou, heureux qu’il était, dans les entrelacs de sa chevelure calcaire quand, toujours tournoyant, il lui avait semblé avoir touché à l’innommable. Telle n’était pas son affaire et il s’était enfui, hululant à travers les plaines de la grande Crau, aux abords de laquelle paissait le troupeau de Noël.
« Vas-yyy. » semblait-il lui souffler. « Vas-yyy. »
N’y tenant plus, convaincu que, sur ce coup, Aquilon n’était pas menteur, Noël confia ses trésors de laine et de lait à Jean-Baptiste, son pastoureau de fortune, ainsi qu’à son chien — ne sachant d’ailleurs pas qui, des deux, garderait l’autre — et s’en alla vers les Alpilles.
Tout paraissait normal là-haut : la roche était au repos et la faune, occupée à ses obligations quotidiennes. Pourtant, il manquait quelque chose à cette apaisante syntaxe. Etait-ce le vent frondeur ? Etait-ce les rayons du soleil que les nuages, gourmands, engloutissaient un à un depuis tout à l’heure ? L’ordre naturel semblait au pâtre, en quelque endroit, dissolu.
L’instinct du berger, dit-on, fourmille plus en son sang qu’ailleurs. Et s’il a un pied sur sa terre sèche, l’autre marche avec les arcanes du divin. Etait-ce pour cette raison qu’aidé de la seule vue de son esprit, les yeux en assistance, Noël gravissait avec certitude tel sentier à la pierraille traîtresse ? Des millions de sésames et des milliards de coups de force ne pourraient suffire à pousser les portes de ce pourquoi. Pourquoi des millions d’oiseaux portent-ils leurs ailes sur les mêmes routes depuis des siècles ? L’éphémère décompte-t-il les secondes avant de mourir ? Vers quel espace la terre dirige-t-elle ses espoirs dans son céleste voyage ? Le mystère a ses secrets, la jalousie est son défaut. Mais qu’il soit Jean qui rit ou Jean qui pleure, lui le premier détient nos rêves et nos impatiences.
Alors qu’il cheminait, Noël perçut plus qu’il ne vit un léger frémissement du feuillage sur sa gauche. L’instant d’après, un gémissement sourd glissa jusqu’à lui. Les sens en alerte, il s’avança vers l’étroite combe d’où venait de s’échapper le bruit. Quelque chose avait bougé là-bas.
L’angoisse soudain rivée au ventre, il distingua sur les parois abruptes de la ravine de fraîches coulées d’un rouge vermillon. L’appréhension ne fit qu’un tour dans ses veines. Bravant la broussaille revêche qui avait élu domicile en ce lieu d’ombre et de lumière, il se fraya péniblement un passage à travers ronces et arbustes.
En ce lieu oublié des hommes, chênes kermès, ajoncs, genêts, épines du Christ, centaurées s’étaient adjugé tous les droits et, omnipotents, mêlaient leurs griffes épineuses en un inextricable chaos. La peau écorchée, les vêtements par endroits déchirés, le berger mesurait l’espace franchi à la raucité croissante de son souffle.
Tout à coup, semblant surgir de nulle part, une aile immense apparut qui se déploya violemment pour retomber aussitôt, molle, dans un cri perçant de douleur. Ce cri bouleversa le pâtre qui hâta autant qu’il put sa progression. Un silence pesant succéda à ce déchirement de l’air, faisant redouter le pire.
Lorsqu’il parvint à destination, l’horreur lui souleva les entrailles. Ensanglanté jusqu’au bout des rémiges, le rapace n’était plus que le miroir brisé de sa noblesse d’antan, ses grands yeux ambrés suppliant une fin à son agonie. Hoquetant d’ultimes soubresauts de vie, l’aigle de Bonelli — car c’en était un — laissa entrevoir à un Noël horrifié le corps humain qu’il recouvrait de son envergure.
L’homme vivait toujours. Par quel miracle, le berger n’aurait pu le dire. Le crâne fracassé, les membres disloqués, il gisait à même la pierre rougie. Noël s’approcha, tendit doucement l’oreille vers sa bouche exsangue, mais il ne recueillit du mourant qu’une suite de paroles incompréhensibles.
- de steen… ‘t is niet mijn… ik wou niet… och, mijn hoofd… (1)
Homme et rapace enchevêtrés, leur sang et leurs râles confondus, ils formaient la plus atroce scène qu’il ait été donné de voir au berger. Ainsi donc, le vent avait vu juste. N’osant toucher ni l’un ni l’autre, de peur d’ôter l’infime chance de survie qui, peut-être, allait être offerte à cet homme, il rebroussa chemin aussi vite qu’il put. L’oiseau, lui, serait sacrifié.
Quelques heures plus tard, au prix d’une gymnastique sans nom pour les brancardiers, on retrouva les deux corps roidis dans une seule et même mort. Il fut difficile de les séparer tant l’aigle s’était agriffé à l’homme, ses serres enfoncées à même la chair du bas-ventre. Il fallut bien s’y résoudre, les pattes du grand volatil devaient être coupées.
Que s’était-il donc passé qui avait préludé à cet abominable drame ? Quel crime avait commis cet homme pour être si cruellement puni ? C’était une première dans les annales de la Provence : « Des aigles ont attaqué un touriste ! » Ainsi titrèrent les manchettes des journaux locaux dès le lendemain. L’affaire fit grand bruit, même extra‑muros, et on en parla à la télévision.
À Mourgue-les-Oliviers, on oublia pour un temps les dissensions qui opposaient Aristide, Fernand et Félix, et tous se réunirent régulièrement sur la place pour commenter l’événement.
- Baste ! Ils nous casent leur couple de moineaux, une espèce protégée qu’ils disent, mais y en pas un pour nous prévenir qu’elle est assassine. On se fout de qui, ici ? Tu vas voir que je vais te prendre le fusil et te les éliminer, moi, leurs aigles de Bonafi !
- Mais enfin, Pastourel, la police n’a même pas terminé son enquête. Comment veux-tu que…
- Et les journaux, mon bon Noël, hein ? Qu’est-ce que t’en fais, des journaux ?
- Les journaux, ils disent ce qu’ils veulent. Et si c’est un mensonge, eh bien, ils rectifient à la prochaine fois, voilà tout. En attendant, ils te font prendre des picholines (2) pour des grossanes (3) et toi, ravi (4), tu avales tout sans rien y goûter.
- Tout de même, y a la télévision…
- Quoi, la télévision ? Tu y crois, toi, aux fadaises qu’ils te racontent dans leur boîte de Pandore ?
- Qu’est-ce que c’est encore que ce pastis ? Une nouvelle émission ?
- Laisse tomber, Pastourel. Mais le fusil aussi, laisse-le tomber, va. Je les connais, ces oiseaux-là. À part les perdrix et les lapins, ils ne feraient pas de mal à une mouche. Et certainement pas à un homme. Alors ?
- Alors ? Alors, y a que j’ai pas confiance. J’y tiens, moi, à ma quiquette. Et ça, quand c’est foutu, ça se pétasse pas !
- D’un autre côté, dit Félix, tant qu’ils ne touchent qu’aux touristes, ça craint pas trop. Un de moins, de temps en temps, avec tous ceux que l’été nous amène, ça nous fera pas une grande différence.
- Et puis, ils ont eu bon goût, ajouta Fernand. À ce que m’a dit Louis, le brancardier, il pesait son poids de daube, le Hollandais. Néanmoins, pour dire ce qui est, en voilà un qui n’achètera pas mon vin.
- Ah ! Parce que tu crois qu’ils vont te l’acheter, ton vin, les Hollandais ? reprit Félix. Mais dame ! Ils viennent chez nous avec leurs cochonneries de fromage, leur café, leurs biscottes, et j’en passe. Tout, je te dis. Prends les Belges. Ça, c’est des buveurs !
- Là, je conteste pas. Les Belges, ils savent boire. Et puis, toujours polis avec ça. Le nombre de fois où ils m’ont dit : « Merci, c’est gentils. » C’est simple, je les compte plus !
- C’est vrai qu’avec les Belges, on sait toujours à qui on a affaire. Parce que les Parisiens…
- Ah ça, les Parisiens…
La communauté mourgonnaise en était là de ses considérations touristiques et ornithologiques lorsqu’un nouveau personnage, et non des moindres, entra en scène. Marius Brun, brigadier de son état.
- Salut, brigadier ! Alors, quoi de neuf avec l’enquête ?
- Des ennuis, encore et toujours des ennuis. Figurez-vous que maintenant, c’est une société de protection des rapaces que j’ai sur le dos. Est-ce ma faute à moi si cet oiseau de malheur a décidé de mourir chez nous ?
- Ils en ont de bonnes, eux. C’est pas leur oiseau, par hasard, qui a attaqué le touriste ? Prends garde, Marius, ou tu risques d’avoir la visite de la société de protection des touristes, une de ces lunes !
- Ah ça, Félix, il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là. Si tu savais ! Ça fait deux jours que ces couillons me cherchent des nières. Si j’étais pas brigadier, tiens…
- Mais qu’est-ce qu’ils te veulent, ces imbéciles ? Une brigade volante pour protéger la femelle du fusil des chasseurs, peut-être ?
- C’est plus grave, beaucoup plus grave. Ils disent que cet alpiniste de Hollandais est allé chipoter au nid. Et ça, c’est interdit. Comme si on n’avait pas assez de misères avec le cadavre. Si ça continue comme ça, on devra bientôt interdire les Alpilles aux touristes.
- Là, je dis pas non. Rien que l’année dernière, j’ai perdu trois grandes et belles oliveraies du côté de Saint-Rémy à cause du feu. Encore une saloperie de cigarette qu’on a jetée par la fenêtre d’une voiture. Et le Destet, vous avez vu dans quel état le feu nous l’a mis, le Destet ?! Une tristesse. Tiens, encore maintenant, j’en pleurerais !
- Moi, contesta Pastourel, je te dis que c’est la mafia qui a fait le coup, pas les touristes. Trois foyers qui démarrent en même temps, pour une coïncidence, c’est une belle coïncidence, hé ! D’ailleurs, j’ai parlé avec une Belge de ma connaissance. Figurez-vous qu’elle est tombée nez à nez avec un type louche qui sortait des fourrés. Paraît qu’il a filé comme un beau diable en la voyant. Ça se passait au tout début de l’incendie, exactement sur la route du Destet ! À leur place, à ces incendiaires, j’aurais pas la conscience tranquille. Faut pas croire, mais ça se paie un jour, ces crimes-là. Qu’est-ce que t’en penses, Marius ?
- J’en pense que j’ai aucun commentaire à te faire. Secret d’instruction. Par contre, pour le Hollandais, je peux te dire puisque le résultat de l’enquête sera publié cet après-midi. C’est un accident, voilà tout.
- Voilà tout ?! Et t’as rien d’autre à nous expliquer ? Té, il est pas clair, ton résultat !
- Tout ce qu’il y a de plus clair, au contraire. On a relevé des traces de ses chaussures à l’endroit exact de la chute. L’affaire est indiscutable : un morceau de roche a cédé sous lui et il est parti en arrière. Mais quelle idée aussi, pour un amateur d’alpinisme comme lui — ça, c’est son épouse qui me l’a dit —, de pas s’être encordé ! Tout le monde le sait, la pierre des Alpilles, c’est comme une femme mûre pour le mariage : elle prend des airs faciles, mais surtout, faut pas s’y fier.
- C’est juste une question d’emplacement de corde, quoi. À mon avis, mieux vaut se la mettre soi-même au corps que de l’avoir au cou.
Au vrai, personne ne croyait réellement aux éclaircissements limpides du brigadier. La Provence aime à se repaître d’extraordinaire, sa nourriture est truculente, nappée d’aromatiques suppositions. Pourquoi donc les Mourgonnais se seraient-ils plus volontiers laissés convaincre par un brigadier, étranger au village de surcroît, plutôt que par un joli fumiste du nom de Pastourel, tenancier de bar bien connu sur la place de la République ? Galéjade pour galéjade, autant adopter la plus invraisemblable. Elle n’en était que plus légitime.
C’est ainsi que naquit l’idée saugrenue de l’aigle tueur d’hommes et de sa femelle vengeresse. Son mâle était mort, le seul qu’elle aurait peut-être jamais, et cela à cause d’un humain. Comment pourrait-elle oublier ? C’était impossible. À moins que… une revanche… voire un sacrifice… Au fil des jours qui suivirent, les esprits s’échauffèrent et les questions fusèrent. Sur qui allait-elle fondre, telle une harpie ? Quel innocent allait-elle labourer de ses griffes acérées ? Un enfant, peut-être ? Oui, assurément un enfant. Un enfant de Mourgue-les-Oliviers, encore !
Plus on y réfléchissait, plus l’hypothèse semblait plausible. Un aigle ne pouvait s’attaquer qu’à un individu léger et sans défense. La femelle n’ayant pas d’aiglon, sa jalousie irait immanquablement vers un petit d’homme. Et cætera. Et cætera. Et cætera. De hasardeuses conjectures, on passa ensuite au théorème... et à l’action ! Bientôt, les hommes répandirent l’angoissante nouvelle et interdirent à leur progéniture d’aller jouer aux abords des Alpilles. Mais serait-ce suffisant, se demanda-t-on ? Un oiseau, c’est fait pour voler et celui-là avait de fameuses ailes. Sûrement pouvait-il aller plus loin que tout autre. Il fallait prendre des mesures. Les enfants avaient besoin de mistral pour s’éclaircir les idées et de soleil pour se les réchauffer.
Noël eut vent de ces rumeurs, mais n’y attacha pas grande importance. Les chiens aboient, la caravane passe, se disait-il. Ils finiraient par se lasser. Mais la femelle, quant à elle, le pourrait-elle ?
Depuis l’accident qui avait coûté la vie à son mâle, il la voyait tournoyer, encore et encore. Elle glatissait, la pauvre, à en perdre haleine. Existait-il plus belle marque de fidélité que celle de cet être de plumes uni à son compagnon par-delà la mort ? La montagne des Baux n’accueillerait pas d’aiglon cette année. Ni les années suivantes. Son aire fraîchement garnie de branches et de brindilles était en berne.
Si le berger se faisait du mauvais sang ces temps-ci, c’était surtout pour Jean-Baptiste. Celui que les villageois surnommaient le ravi n’avait plus un sourire pour personne depuis cet accident. Le porte-bonheur de Mourgue-les-Oliviers se fanait. Et ça, c’était pire que d’oublier le blé de la Sainte-Barbe (5). À croire que personne n’avait conscience de la menace qui se profilait. Les vieilles religions partaient à vau-l’eau.
Pourtant, depuis son arrivée à Mourgue, les oliviers avaient-ils gelé ? Non. Le feu avait-il ravagé le bourg lors des nombreux incendies qui s’étaient déclarés ces vingt-cinq dernières années ? Non. Avait-on connu une seule mauvaise récolte ? Encore non. Un grand malheur s’était-il abattu sur la communauté ? Toujours non.
Croyances et traditions étaient pour le pâtre des complices de toujours. Il savait la sagesse populaire des anciens. Sur cette terre, rien de nouveau, jamais, ne se produisait et ne se produirait. Aucun homme n’était pire ou meilleur que ses semblables. Les espérances d’une jeune nation n’étaient-elles pas toujours, aigries, les rancunes des vieilles civilisations ? L’homme, son humanité étaient ainsi faite qu’il ne changerait guère. Pour l’apprendre, il avait suffi au berger de regarder dans les étoiles, soir après soir, mois après mois, des décennies durant. Les hommes avaient beau mener leur quête partout et ailleurs, ils revenaient indéfectiblement aux sources de leur enfance. Or, l’une de ces sources, jaillissant à même la roche de l’ancienne Provence, ne prophétisait-elle pas : « Fada qui se meurt annonce nuages et pleurs » ?
En cet instant, dans le village, un mas, un seul, pressentait la tombée du ciel. C’était celui du maire en personne. Depuis la disparition du rapace, Jean-Baptiste n’était plus le même. Tout le jour, il se terrait dans le studio qui lui avait été attribué au-dessus de l’atelier d’ébénisterie attenant. La nuit venue, on voyait son ombre errer de fenêtre en fenêtre. Parfois, il descendait dans l’atelier quand celui-ci était désert, mais ni le maire ni sa femme n’avaient jusqu’à présent réussi à découvrir ce qu’il y fabriquait. Pourtant, ce n’était pas l’envie qui leur manquait.
Tous deux portaient une grande affection à Jean-Baptiste, de celle des couples sans enfant qui restent seuls avec un trop-plein d’amour dans le cœur. Ils souffraient de le voir se morfondre. Il ne mangeait presque plus, refusant même de subir les patoches d’Olive, lui qui d’habitude se laissait si complaisamment égratigner. Tous, Noël y compris, avaient bien tenté, par des approches successives, de le dérider, mais sans aucun succès.
Comme le disait judicieusement Aristide à Noël :
- Mon ami, l’heure est grave et funeste. Notre pupille — car il s’agit aussi du tien — se languit sous une épaisse couche de silence. Il nous faut agir.
- Ecoute. Pour l’instant, tu auras beau presser tous les cailloux de la Crau, tu n’en tireras ni sang ni or. Laisse-le, il reviendra.
- Mais s’il se suicidait ? Tu y penses, dis ? Il a beau être brave, impossible de deviner ce qui peut lui passer par la tête.
- Tu sais, à moi aussi ça me fait peine de le voir si dévarié. Mais bon, il faut lui donner le temps de lécher ses plaies. À sa manière.
- Et c’est quoi sa manière, à ton avis ?
- Franchement, j’en sais rien, Aristide. Je suppose que nous l’apprendrons bientôt.
(1) « la roche… ce n’est pas ma… je ne voulais pas… ah, ma tête… »
(2) Variété d’olive menue, à bout pointu.
(3) Olive noire de la vallée des Baux-de-Provence, AOC.
(4) Santon familier de la crèche provençale. Lou ravi, c'est le simple d'esprit, généralement représenté les bras levés en signe de joie et de ravissement. Semblo lou ravi de la crècho, il est tout ébaudi.
(5) Tradition de Noël qui consiste à semer du blé dans une soucoupe le jour de la Sainte-Barbe (4 décembre). Des pousses droites et bien vertes présagent une année prospère et heureuse. Couchées et jaunies, elles annoncent des malheurs.
« Elle est tellement belle. Regarde-la. Quand le soleil se lève, comme tout à l’heure, on dirait que ses crêtes fleurissent. Et quand il se couche, et que ses ravines se peuplent d’ombres, elle a pas sa jumelle sur toute la terre.
« Une montagne pareille, mon petit, c’est du boire et du manger pour toute une vie. »
Ainsi parlait Noël, le pâtre des Baux, tandis qu’à quelques kilomètres de là, en plein milieu du cimetière municipal, se déroulait la terrible scène de ménage que l’on sait.
Mais alors qu’Aristide et Félix s’affrontaient à grand fracas d’injures, alors même que Fernand, l’imprudent, s’aventurait parmi les tombes, un vent d’inquiétude parvint aux oreilles du berger. Agité, frissonnant, il lui murmurait ses angoisses de vent à peine sorti de la montagne. Quelques instants auparavant, rugissait-il, il se frottait vigoureusement à ses flancs et tourbillonnait comme un fou, heureux qu’il était, dans les entrelacs de sa chevelure calcaire quand, toujours tournoyant, il lui avait semblé avoir touché à l’innommable. Telle n’était pas son affaire et il s’était enfui, hululant à travers les plaines de la grande Crau, aux abords de laquelle paissait le troupeau de Noël.
« Vas-yyy. » semblait-il lui souffler. « Vas-yyy. »
N’y tenant plus, convaincu que, sur ce coup, Aquilon n’était pas menteur, Noël confia ses trésors de laine et de lait à Jean-Baptiste, son pastoureau de fortune, ainsi qu’à son chien — ne sachant d’ailleurs pas qui, des deux, garderait l’autre — et s’en alla vers les Alpilles.
Tout paraissait normal là-haut : la roche était au repos et la faune, occupée à ses obligations quotidiennes. Pourtant, il manquait quelque chose à cette apaisante syntaxe. Etait-ce le vent frondeur ? Etait-ce les rayons du soleil que les nuages, gourmands, engloutissaient un à un depuis tout à l’heure ? L’ordre naturel semblait au pâtre, en quelque endroit, dissolu.
L’instinct du berger, dit-on, fourmille plus en son sang qu’ailleurs. Et s’il a un pied sur sa terre sèche, l’autre marche avec les arcanes du divin. Etait-ce pour cette raison qu’aidé de la seule vue de son esprit, les yeux en assistance, Noël gravissait avec certitude tel sentier à la pierraille traîtresse ? Des millions de sésames et des milliards de coups de force ne pourraient suffire à pousser les portes de ce pourquoi. Pourquoi des millions d’oiseaux portent-ils leurs ailes sur les mêmes routes depuis des siècles ? L’éphémère décompte-t-il les secondes avant de mourir ? Vers quel espace la terre dirige-t-elle ses espoirs dans son céleste voyage ? Le mystère a ses secrets, la jalousie est son défaut. Mais qu’il soit Jean qui rit ou Jean qui pleure, lui le premier détient nos rêves et nos impatiences.
Alors qu’il cheminait, Noël perçut plus qu’il ne vit un léger frémissement du feuillage sur sa gauche. L’instant d’après, un gémissement sourd glissa jusqu’à lui. Les sens en alerte, il s’avança vers l’étroite combe d’où venait de s’échapper le bruit. Quelque chose avait bougé là-bas.
L’angoisse soudain rivée au ventre, il distingua sur les parois abruptes de la ravine de fraîches coulées d’un rouge vermillon. L’appréhension ne fit qu’un tour dans ses veines. Bravant la broussaille revêche qui avait élu domicile en ce lieu d’ombre et de lumière, il se fraya péniblement un passage à travers ronces et arbustes.
En ce lieu oublié des hommes, chênes kermès, ajoncs, genêts, épines du Christ, centaurées s’étaient adjugé tous les droits et, omnipotents, mêlaient leurs griffes épineuses en un inextricable chaos. La peau écorchée, les vêtements par endroits déchirés, le berger mesurait l’espace franchi à la raucité croissante de son souffle.
Tout à coup, semblant surgir de nulle part, une aile immense apparut qui se déploya violemment pour retomber aussitôt, molle, dans un cri perçant de douleur. Ce cri bouleversa le pâtre qui hâta autant qu’il put sa progression. Un silence pesant succéda à ce déchirement de l’air, faisant redouter le pire.
Lorsqu’il parvint à destination, l’horreur lui souleva les entrailles. Ensanglanté jusqu’au bout des rémiges, le rapace n’était plus que le miroir brisé de sa noblesse d’antan, ses grands yeux ambrés suppliant une fin à son agonie. Hoquetant d’ultimes soubresauts de vie, l’aigle de Bonelli — car c’en était un — laissa entrevoir à un Noël horrifié le corps humain qu’il recouvrait de son envergure.
L’homme vivait toujours. Par quel miracle, le berger n’aurait pu le dire. Le crâne fracassé, les membres disloqués, il gisait à même la pierre rougie. Noël s’approcha, tendit doucement l’oreille vers sa bouche exsangue, mais il ne recueillit du mourant qu’une suite de paroles incompréhensibles.
- de steen… ‘t is niet mijn… ik wou niet… och, mijn hoofd… (1)
Homme et rapace enchevêtrés, leur sang et leurs râles confondus, ils formaient la plus atroce scène qu’il ait été donné de voir au berger. Ainsi donc, le vent avait vu juste. N’osant toucher ni l’un ni l’autre, de peur d’ôter l’infime chance de survie qui, peut-être, allait être offerte à cet homme, il rebroussa chemin aussi vite qu’il put. L’oiseau, lui, serait sacrifié.
Quelques heures plus tard, au prix d’une gymnastique sans nom pour les brancardiers, on retrouva les deux corps roidis dans une seule et même mort. Il fut difficile de les séparer tant l’aigle s’était agriffé à l’homme, ses serres enfoncées à même la chair du bas-ventre. Il fallut bien s’y résoudre, les pattes du grand volatil devaient être coupées.
Que s’était-il donc passé qui avait préludé à cet abominable drame ? Quel crime avait commis cet homme pour être si cruellement puni ? C’était une première dans les annales de la Provence : « Des aigles ont attaqué un touriste ! » Ainsi titrèrent les manchettes des journaux locaux dès le lendemain. L’affaire fit grand bruit, même extra‑muros, et on en parla à la télévision.
À Mourgue-les-Oliviers, on oublia pour un temps les dissensions qui opposaient Aristide, Fernand et Félix, et tous se réunirent régulièrement sur la place pour commenter l’événement.
- Baste ! Ils nous casent leur couple de moineaux, une espèce protégée qu’ils disent, mais y en pas un pour nous prévenir qu’elle est assassine. On se fout de qui, ici ? Tu vas voir que je vais te prendre le fusil et te les éliminer, moi, leurs aigles de Bonafi !
- Mais enfin, Pastourel, la police n’a même pas terminé son enquête. Comment veux-tu que…
- Et les journaux, mon bon Noël, hein ? Qu’est-ce que t’en fais, des journaux ?
- Les journaux, ils disent ce qu’ils veulent. Et si c’est un mensonge, eh bien, ils rectifient à la prochaine fois, voilà tout. En attendant, ils te font prendre des picholines (2) pour des grossanes (3) et toi, ravi (4), tu avales tout sans rien y goûter.
- Tout de même, y a la télévision…
- Quoi, la télévision ? Tu y crois, toi, aux fadaises qu’ils te racontent dans leur boîte de Pandore ?
- Qu’est-ce que c’est encore que ce pastis ? Une nouvelle émission ?
- Laisse tomber, Pastourel. Mais le fusil aussi, laisse-le tomber, va. Je les connais, ces oiseaux-là. À part les perdrix et les lapins, ils ne feraient pas de mal à une mouche. Et certainement pas à un homme. Alors ?
- Alors ? Alors, y a que j’ai pas confiance. J’y tiens, moi, à ma quiquette. Et ça, quand c’est foutu, ça se pétasse pas !
- D’un autre côté, dit Félix, tant qu’ils ne touchent qu’aux touristes, ça craint pas trop. Un de moins, de temps en temps, avec tous ceux que l’été nous amène, ça nous fera pas une grande différence.
- Et puis, ils ont eu bon goût, ajouta Fernand. À ce que m’a dit Louis, le brancardier, il pesait son poids de daube, le Hollandais. Néanmoins, pour dire ce qui est, en voilà un qui n’achètera pas mon vin.
- Ah ! Parce que tu crois qu’ils vont te l’acheter, ton vin, les Hollandais ? reprit Félix. Mais dame ! Ils viennent chez nous avec leurs cochonneries de fromage, leur café, leurs biscottes, et j’en passe. Tout, je te dis. Prends les Belges. Ça, c’est des buveurs !
- Là, je conteste pas. Les Belges, ils savent boire. Et puis, toujours polis avec ça. Le nombre de fois où ils m’ont dit : « Merci, c’est gentils. » C’est simple, je les compte plus !
- C’est vrai qu’avec les Belges, on sait toujours à qui on a affaire. Parce que les Parisiens…
- Ah ça, les Parisiens…
La communauté mourgonnaise en était là de ses considérations touristiques et ornithologiques lorsqu’un nouveau personnage, et non des moindres, entra en scène. Marius Brun, brigadier de son état.
- Salut, brigadier ! Alors, quoi de neuf avec l’enquête ?
- Des ennuis, encore et toujours des ennuis. Figurez-vous que maintenant, c’est une société de protection des rapaces que j’ai sur le dos. Est-ce ma faute à moi si cet oiseau de malheur a décidé de mourir chez nous ?
- Ils en ont de bonnes, eux. C’est pas leur oiseau, par hasard, qui a attaqué le touriste ? Prends garde, Marius, ou tu risques d’avoir la visite de la société de protection des touristes, une de ces lunes !
- Ah ça, Félix, il ne faut pas plaisanter avec ces choses-là. Si tu savais ! Ça fait deux jours que ces couillons me cherchent des nières. Si j’étais pas brigadier, tiens…
- Mais qu’est-ce qu’ils te veulent, ces imbéciles ? Une brigade volante pour protéger la femelle du fusil des chasseurs, peut-être ?
- C’est plus grave, beaucoup plus grave. Ils disent que cet alpiniste de Hollandais est allé chipoter au nid. Et ça, c’est interdit. Comme si on n’avait pas assez de misères avec le cadavre. Si ça continue comme ça, on devra bientôt interdire les Alpilles aux touristes.
- Là, je dis pas non. Rien que l’année dernière, j’ai perdu trois grandes et belles oliveraies du côté de Saint-Rémy à cause du feu. Encore une saloperie de cigarette qu’on a jetée par la fenêtre d’une voiture. Et le Destet, vous avez vu dans quel état le feu nous l’a mis, le Destet ?! Une tristesse. Tiens, encore maintenant, j’en pleurerais !
- Moi, contesta Pastourel, je te dis que c’est la mafia qui a fait le coup, pas les touristes. Trois foyers qui démarrent en même temps, pour une coïncidence, c’est une belle coïncidence, hé ! D’ailleurs, j’ai parlé avec une Belge de ma connaissance. Figurez-vous qu’elle est tombée nez à nez avec un type louche qui sortait des fourrés. Paraît qu’il a filé comme un beau diable en la voyant. Ça se passait au tout début de l’incendie, exactement sur la route du Destet ! À leur place, à ces incendiaires, j’aurais pas la conscience tranquille. Faut pas croire, mais ça se paie un jour, ces crimes-là. Qu’est-ce que t’en penses, Marius ?
- J’en pense que j’ai aucun commentaire à te faire. Secret d’instruction. Par contre, pour le Hollandais, je peux te dire puisque le résultat de l’enquête sera publié cet après-midi. C’est un accident, voilà tout.
- Voilà tout ?! Et t’as rien d’autre à nous expliquer ? Té, il est pas clair, ton résultat !
- Tout ce qu’il y a de plus clair, au contraire. On a relevé des traces de ses chaussures à l’endroit exact de la chute. L’affaire est indiscutable : un morceau de roche a cédé sous lui et il est parti en arrière. Mais quelle idée aussi, pour un amateur d’alpinisme comme lui — ça, c’est son épouse qui me l’a dit —, de pas s’être encordé ! Tout le monde le sait, la pierre des Alpilles, c’est comme une femme mûre pour le mariage : elle prend des airs faciles, mais surtout, faut pas s’y fier.
- C’est juste une question d’emplacement de corde, quoi. À mon avis, mieux vaut se la mettre soi-même au corps que de l’avoir au cou.
Au vrai, personne ne croyait réellement aux éclaircissements limpides du brigadier. La Provence aime à se repaître d’extraordinaire, sa nourriture est truculente, nappée d’aromatiques suppositions. Pourquoi donc les Mourgonnais se seraient-ils plus volontiers laissés convaincre par un brigadier, étranger au village de surcroît, plutôt que par un joli fumiste du nom de Pastourel, tenancier de bar bien connu sur la place de la République ? Galéjade pour galéjade, autant adopter la plus invraisemblable. Elle n’en était que plus légitime.
C’est ainsi que naquit l’idée saugrenue de l’aigle tueur d’hommes et de sa femelle vengeresse. Son mâle était mort, le seul qu’elle aurait peut-être jamais, et cela à cause d’un humain. Comment pourrait-elle oublier ? C’était impossible. À moins que… une revanche… voire un sacrifice… Au fil des jours qui suivirent, les esprits s’échauffèrent et les questions fusèrent. Sur qui allait-elle fondre, telle une harpie ? Quel innocent allait-elle labourer de ses griffes acérées ? Un enfant, peut-être ? Oui, assurément un enfant. Un enfant de Mourgue-les-Oliviers, encore !
Plus on y réfléchissait, plus l’hypothèse semblait plausible. Un aigle ne pouvait s’attaquer qu’à un individu léger et sans défense. La femelle n’ayant pas d’aiglon, sa jalousie irait immanquablement vers un petit d’homme. Et cætera. Et cætera. Et cætera. De hasardeuses conjectures, on passa ensuite au théorème... et à l’action ! Bientôt, les hommes répandirent l’angoissante nouvelle et interdirent à leur progéniture d’aller jouer aux abords des Alpilles. Mais serait-ce suffisant, se demanda-t-on ? Un oiseau, c’est fait pour voler et celui-là avait de fameuses ailes. Sûrement pouvait-il aller plus loin que tout autre. Il fallait prendre des mesures. Les enfants avaient besoin de mistral pour s’éclaircir les idées et de soleil pour se les réchauffer.
Noël eut vent de ces rumeurs, mais n’y attacha pas grande importance. Les chiens aboient, la caravane passe, se disait-il. Ils finiraient par se lasser. Mais la femelle, quant à elle, le pourrait-elle ?
Depuis l’accident qui avait coûté la vie à son mâle, il la voyait tournoyer, encore et encore. Elle glatissait, la pauvre, à en perdre haleine. Existait-il plus belle marque de fidélité que celle de cet être de plumes uni à son compagnon par-delà la mort ? La montagne des Baux n’accueillerait pas d’aiglon cette année. Ni les années suivantes. Son aire fraîchement garnie de branches et de brindilles était en berne.
Si le berger se faisait du mauvais sang ces temps-ci, c’était surtout pour Jean-Baptiste. Celui que les villageois surnommaient le ravi n’avait plus un sourire pour personne depuis cet accident. Le porte-bonheur de Mourgue-les-Oliviers se fanait. Et ça, c’était pire que d’oublier le blé de la Sainte-Barbe (5). À croire que personne n’avait conscience de la menace qui se profilait. Les vieilles religions partaient à vau-l’eau.
Pourtant, depuis son arrivée à Mourgue, les oliviers avaient-ils gelé ? Non. Le feu avait-il ravagé le bourg lors des nombreux incendies qui s’étaient déclarés ces vingt-cinq dernières années ? Non. Avait-on connu une seule mauvaise récolte ? Encore non. Un grand malheur s’était-il abattu sur la communauté ? Toujours non.
Croyances et traditions étaient pour le pâtre des complices de toujours. Il savait la sagesse populaire des anciens. Sur cette terre, rien de nouveau, jamais, ne se produisait et ne se produirait. Aucun homme n’était pire ou meilleur que ses semblables. Les espérances d’une jeune nation n’étaient-elles pas toujours, aigries, les rancunes des vieilles civilisations ? L’homme, son humanité étaient ainsi faite qu’il ne changerait guère. Pour l’apprendre, il avait suffi au berger de regarder dans les étoiles, soir après soir, mois après mois, des décennies durant. Les hommes avaient beau mener leur quête partout et ailleurs, ils revenaient indéfectiblement aux sources de leur enfance. Or, l’une de ces sources, jaillissant à même la roche de l’ancienne Provence, ne prophétisait-elle pas : « Fada qui se meurt annonce nuages et pleurs » ?
En cet instant, dans le village, un mas, un seul, pressentait la tombée du ciel. C’était celui du maire en personne. Depuis la disparition du rapace, Jean-Baptiste n’était plus le même. Tout le jour, il se terrait dans le studio qui lui avait été attribué au-dessus de l’atelier d’ébénisterie attenant. La nuit venue, on voyait son ombre errer de fenêtre en fenêtre. Parfois, il descendait dans l’atelier quand celui-ci était désert, mais ni le maire ni sa femme n’avaient jusqu’à présent réussi à découvrir ce qu’il y fabriquait. Pourtant, ce n’était pas l’envie qui leur manquait.
Tous deux portaient une grande affection à Jean-Baptiste, de celle des couples sans enfant qui restent seuls avec un trop-plein d’amour dans le cœur. Ils souffraient de le voir se morfondre. Il ne mangeait presque plus, refusant même de subir les patoches d’Olive, lui qui d’habitude se laissait si complaisamment égratigner. Tous, Noël y compris, avaient bien tenté, par des approches successives, de le dérider, mais sans aucun succès.
Comme le disait judicieusement Aristide à Noël :
- Mon ami, l’heure est grave et funeste. Notre pupille — car il s’agit aussi du tien — se languit sous une épaisse couche de silence. Il nous faut agir.
- Ecoute. Pour l’instant, tu auras beau presser tous les cailloux de la Crau, tu n’en tireras ni sang ni or. Laisse-le, il reviendra.
- Mais s’il se suicidait ? Tu y penses, dis ? Il a beau être brave, impossible de deviner ce qui peut lui passer par la tête.
- Tu sais, à moi aussi ça me fait peine de le voir si dévarié. Mais bon, il faut lui donner le temps de lécher ses plaies. À sa manière.
- Et c’est quoi sa manière, à ton avis ?
- Franchement, j’en sais rien, Aristide. Je suppose que nous l’apprendrons bientôt.
(1) « la roche… ce n’est pas ma… je ne voulais pas… ah, ma tête… »
(2) Variété d’olive menue, à bout pointu.
(3) Olive noire de la vallée des Baux-de-Provence, AOC.
(4) Santon familier de la crèche provençale. Lou ravi, c'est le simple d'esprit, généralement représenté les bras levés en signe de joie et de ravissement. Semblo lou ravi de la crècho, il est tout ébaudi.
(5) Tradition de Noël qui consiste à semer du blé dans une soucoupe le jour de la Sainte-Barbe (4 décembre). Des pousses droites et bien vertes présagent une année prospère et heureuse. Couchées et jaunies, elles annoncent des malheurs.