Obro vano, sutilo, alado,
Lou Fantasti l’avié fielado
Em’ un rai de soulèu, tencho emé li coulour
Di nivoulun : sa tramo feblo
Finis pèr tremoula, vèn treblo,
E s’esvalis coume uno nèblo, (…).
Œuvre vaine, subtile, ailée,
Le Fantastique l’avait filée
Avec un rayon de soleil, teinte avec les couleurs
Des nuages : sa trame faible
Finit par trembler, devient trouble,
Et se dissipe comme un brouillard.
FREDERIC MISTRAL,
Mireille, Chant dixième.
C’était bien lui, ce fou, cet insensé sublime…
Cet Icare oublié qui remontait les cieux, (…).
GERARD DE NERVAL
Les Chimères,
Le Christ aux Oliviers.
PREAMBULE : VISIONS EPHEMERES
À chacun son paradis. À chacun son enfer.
Le vieux platane s’endormait pour mourir. Ses branches meurtries en avaient trop vu, son tronc avait trop souffert pour rester vaillant. Son compagnon avait eu la branche envahissante, un anarchiste dont on avait dû saper les envolées à la racine. Aussi, au soir, contait-elle ses déboires et, au matin, ses chagrins. Seule, abîmée dans sa sève, elle s’alourdissait de jour en jour, attendant son heure. Qu’était-elle pour tous sinon un platane vacillant à la souche précaire ? Cependant, lui l’observait s’éteindre le cœur meurtri.
Avait-il un regard prédisposé à voir ce que d’autres ignoraient ? C’est une question que je me suis souvent posée, sans pourtant y trouver de réponse satisfaisante. Etait-il un être à part, une sorte d’élu ? Parfois, les motivations divines sont insondables. Allez savoir ! Mais c’est un fait, il voyait…
…De la fumée sortaient parfois de bien étranges personnes, tantôt mirifiques, tantôt abominables. Nul n’aurait pu prévoir qui succéderait à l’autre, l’ordre n’était pas apprivoisé. Celle au trident était sans conteste la plus belle, celui au masque d’argile, le plus repoussant. Des compagnons de la lune en escapade…
…Tandis que les entrailles de la terre travaillaient en dessous, bruyantes, les sommets se teintaient de silences en escalier, parlant à voix basse à la multitude qui les habitait. Des rumeurs qui ruisselaient du haut vers le bas, s’assourdissant au fur et à mesure de leurs parcours vers les vallées. Ces routes étaient connues, encombrées d’oreilles attentives, parfois pugnaces. Alors, il fallait s’arrêter et tout recommencer, comme au premier jour…
…La nuit venue, ils sortaient en procession, escortés d’une énigmatique chèvre aux reflets d’or. Enfants-rois de jadis au front ceint d’olivier, le corps dansant sous les étoiles, ils s’enfonçaient dans la terre au premier éveil de l’oiseau. Le buste en armure, vêtus de braies, leur chant était toujours le même :
« Une danse, un cœur,
Une roche, un cœur,
Une chance, un cœur.
L’aumône ne fait pas le misérable,
Le soleil n’enfante pas la lune,
Il est ailleurs des terres plus arables.
Un choix, un cœur,
Une foi, un cœur,
Un pain, un cœur.
Et des étoiles dans nos mains !
Cha bou, cha bou, min chou die.
Cha bou, cha bou, min chou die.»
Des sourires plein les yeux, ils semblaient éternellement vaquer le long des rives du bonheur et de l’enfance. Chimère des sens, ils n’en paraissaient pourtant pas moins vrais.
L’un voit, l’autre regarde, telle est la loi. Qui est qui et qui fait quoi ? La lumière ne semble pas de ce monde, seuls des commentaires et des objections apportent un peu d’âme à une improbable réponse. Ceux-là sont légions, mais ne sont-ils pas aussi un peu menteurs, prétexte à une justification raisonnable ? Où sont les vraies valeurs ? Les visions sont si éphémères…